Plan Très Haut débit, cadre réglementaire réseaux fibre optique… Pourquoi la France n’avance plus ?
D’un côté, l’ARCEP parle d’un cadre réglementaire désormais achevé. De l’autre, plusieurs collectivités territoriales, l’Avicca, le Sénateur Maurey et nombre d’observateurs constatent au quotidien les zones d’ombre, pire les dysfonctionnements, dudit cadre. Au-delà, c’est le plan national Très Haut Débit qui paraît actuellement en panne. Les débats faisaient rage à ce sujet dans les allées de la sixième fête du Très Haut Débit de Mortain. Le haut commissaire de l’ARCEP venait d’annoncer qu’il considérait le cadre réglementaire français comme le plus beau du monde.
La salle bruissait déjà de remarques et de signes d’étonnement. Ceux-ci ne firent que s’amplifier lorsque Benoît Felten proposa son analyse comparée des principaux modèles THD internationaux une analyse qui confirmait les points de faiblesse du cadre français. Par delà ce débat sans doute inutile sur “France en retard ou France plus en avance” c’est bien désormais en effet le devenir de l’aménagement numérique du territoire national qui semble en jeu. Pour beaucoup, le constat est cruel: sans attendre l’après élection présidentielle, il faut que l’Etat et l’ARCEP revoient leurs copies.
Passage en revue provisoire d’une situation qui d’évidence exige pour le moins des précisions.
La fibre est l’avenir de l’homo numéricus.
Dans ce domaine, les opinions ont largement évolué depuis une dizaine d’années.
Désormais, l’Etat, les opérateurs, les collectivités territoriales (…) convergent autour d’une priorité : le chantier THD, notamment optique, sera l’un des très grands projets de cette décennie. En avant donc.
L’avenir du THD dépendrait de nos capacités à jouer publics et privés.
Un autre point d’accord réside dans l’affirmation du nécessaire développement des coopérations entre acteurs privés et acteurs publics. Cela a été dit et redit dans la plupart des conférences, communications, exposés… Cela est confirmé par quasiment tous les écosystèmes innovants mondiaux, numériques ou pas, y compris dans les pays les plus farouchement libéraux. Par-delà les annonces et les décisions de principe, toute la question est de savoir comment faire concrètement ?… PPP, DSP, partenariats, annonces…
Qui fait vraiment quoi ? Et surtout comment ? Avec quels engagements contractuels en termes de délais, de qualité et de transparence ?
Débat nécessaire ? Sans aucun doute.
La liberté laissée aux opérateurs va accentuer la fracture numérique territoriale
Tour d’horizon des points à travailler
Dans le quotidien de ceux qui font, qui assistent ou qui étudient le terrain THD, on est ainsi loin de penser que le cadre réglementaire actuel est le meilleur du monde. Quels sont donc les principaux points de dysfonctionnement qui remontent du terrain ? Tour rapide d’un horizon à travailler.
Pas de vraie place pour les collectivités territoriales
La première contradiction est désormais largement avérée. Les collectivités territoriales sont encore laissées pour compte dans le plan THD. D’un côté, on entend urbi et orbi qu’elles doivent prendre toute leur place dans le déploiement des réseaux. D’un autre côté, on cherche vainement la place réellement octroyée à ces acteurs donc majeurs dans le cadre réglementaire.
Pas d’engagement conventionnel avec les opérateurs qui déclarent leurs intentions de déploiements
Les collectivités doivent attendre les manifestations d’intérêt des opérateurs. Or ces “manifestations” ne les engagent quasiment à rien puisque aucun contrat, aucune convention, aucun accord ne vient gravé dans le marbre leurs annonces. Bref, à ce jour, les collectivités sont invités à envisager de financier mais nul ne soit vraiment quoi et sur quelles bases.
Risque d’écrémage des zones rentables !
C’était le titre d’un texte de l’Avicca. Il pointe une autre lacune du cadre réglementaire actuel. Comment envisager une solidarité numérique, versus péréquation, si les zones rentables sont traitées de manières isolées ? Il faudrait nous expliquer. Le Sénateur Maurey estime pour sa part que la liberté laissée aux opérateurs va accentuer la fracture numérique territoriale. Les faits, versus les manifestations d’intérêt telles qu’exprimées par lesdits opérateurs, lui donnent raison.
Un Fond national d’Aménagement du Territoire encore non défini.
D’autant plus que le financement du FANT est à jour oublié du cadre réglementaire. Ce qui laisse planer plus qu’un doute quant aux modalités d’aménagement numérique des territoires.
Outre les collectivités territoriales, d’autres acteurs, pourtant clefs, restent en outre oubliés du dispositif.
Un cadre consanguin… trop telecom, pas assez ouvert
Outre les collectivités territoriales, d’autres acteurs, pourtant clefs, restent en outre oubliés du dispositif. C’est en particulier le cas des copropriétés, des propriétaires immobiliers, de tous ces gens du “premier mètre” qui peuvent pourtant ô combien participer de l’accélération ou d’un quasi stop de tout projet Fttx… Le nombre de contentieux dans ce domaine est là pour le rappeler.
Un cadre « point de Mutualisation » inadaptée aux zones rurales.
Au titre de la règle, les points de mutualisation doivent abriter 1000 lignes. Un régime de dérogation permet d’envisager de passer à 300. J’invite les auteurs de cette décision en Lozère, dans les Pyrénées ou dans n’importe quel village. Ils verront de quelles manières cette décision ferait, si elle était confirmée, la fortune (relative) des entreprises du BTP et signifierait l’échec de nombre de projets ruraux.
Des solutions de transport et de collecte oubliées
Qui va assurer l’interconnexion des réseaux locaux et surtout comment ? Où sont les décisions réglementaires dans ce domaine ? J’apprenais la semaine dernière que l’ARCEP imposerait même un loyer annuel pour tout opérateur utilisant un lien radio pour interconnecter une plaque locale aux backbones nationaux. Un loyer de plusieurs milliers d’euros pour une solution simple et efficace permettant de désenclaver un hameau par exemple de 10 à 20 foyers, soit un coût mensuel direct par prise de plus de 10 euros…
Cette liste non exhaustive montre bien que le cadre réglementaire français n’est pas terminé et il est surprenant qu’un chantier jugé à ce point prioritaire par l’Etat soit finalement l’objet d’aussi peu de débats et de prises de positions politiques.