[Ouverture à la concurrence du marché domestique] Le début des nouvelles mobilités ferroviaires ?
Après plusieurs ouvertures successives, dans le Fret puis dans le transport Voyageurs à l’international dans les années 2000 (ce que les spécialistes appellent « le cabotage », c’est-à-dire un train qui a une origine et une destination hors du territoire national mais qui peut s’y arrêter pour déposer et faire monter des voyageurs), le réseau ferré national est entré dans une nouvelle étape de son développement avec l’ouverture annoncée du marché domestique Voyageurs. En d’autres termes, à partir de 2023 – et avec des expérimentations possibles dès cette année – les régions devront lancer des appels d’offres pour l’attribution de leur marché de transport régional, mettant ainsi en compétition les TER de SNCF avec d’autres opérateurs français ou européens. Idem pour la grande vitesse, dont le marché s’ouvrira en OPEN ACCESS à partir de 2021. Bien que les procédures ne soient pas tout à fait similaires puisque les entreprises de transport souhaitant concurrencer les TGV pourront directement commander des sillons au gestionnaire d’infrastructure. Lui devra traiter ces nouvelles demandes en équité sous le regard attentif de l’ARAFER, l’autorité de régulation du chemin de fer français. Passons en revue les enjeux et les nouveaux acteurs de l’ouverture à la concurrence du marché domestique.
Une ouverture progressive voulue par l’Europe comme l’idéal d’un grand réseau unique à l’échelle du continent
Plusieurs directives européennes ont imposé crescendo à la France de libéraliser ses services de transport ferroviaire, en permettant à d’autres opérateurs de mettre leurs trains sur les rails. Retraçons cette progression en quelques dates clés.
- 1991 : une première directive ouvre la voie de l’ouverture à la concurrence avec deux mesures significatives : la séparation obligatoire entre la gestion des infrastructures et l’exploitation des services, d’une part, et l’instauration d’un droit d’accès aux réseaux ferroviaires nationaux pour les entreprises européennes, limité au transport combiné et au transport international de marchandises, d’autre part.
- 2003-2006 : le transport de marchandise est le premier à être libéralisé. Un premier train privé a circulé en 2005 entre Dugny-sur-Meuse et Volkingen, en Allemagne. Aujourd’hui, une vingtaine d’opérateurs privés ont profité de cette libéralisation pour concurrencer Fret SNCF, gagnant progressivement 40 % des parts du marché et sont les clients…de SNCF Réseau (l’entreprise au sein du Groupe qui gère les lignes et en est propriétaire, et dont le chiffre d’affaires repose sur le nombre de trains circulant sur ses lignes chaque jour).
- 2009-2011 : c’est l’ouverture du transport international de voyageurs. Si la possibilité était devenue officielle dès 2009, le premier train transfrontalier à circuler en France a été le Paris-Venise de l’italien Thello, en 2011. Cet opérateur, qui appartient à 100% à Trenitalia, est aujourd’hui le seul à proposer une offre alternative avec ses deux lignes Paris-Venise et Marseille-Milan.
- 2019-2033 : c’est l’étape de mise en concurrence du transport « intra-muros » pour les trains conventionnés, connus sous différentes dénominations, comme les trains « grandes lignes », les trains « Corail », les « Intercités » ou les TER… L’ouverture prendra la forme d’un contrat de service public sur plusieurs années, assorti d’un cahier des charges qui permettra aux autorités organisatrices de fixer leurs exigences en matière de qualité de service.
En ligne de mire de l’Europe : une émulation, favorable au service final rendu
L’idée est que l’entreprise ou les entreprises qui seront en charge de l’exploitation de lignes régionales après avoir gagné un appel d’offres investissent et mettent en place des innovations, des nouveaux services pour les voyageurs, en cherchant à améliorer l’expérience du client, en soignant l’accueil par exemple ou l’information voyageurs…
L’Etat a été pionnier en annonçant dès janvier dernier son intention d’ouvrir à la concurrence les lignes de train Intercités Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux avec pour objectif de faire rouler le nouvel opérateur dès 2022. Chacun peut retrouver au Journal officiel de l’Union européenne son avis de pré-information officialisant sa démarche. Avec cette annonce, l’Etat devient la première autorité organisatrice à s’engager dans le processus ouvrant la voie aux régions en France. Son objectif ? Augmenter la fréquence des circulations sur ces deux lignes, créer en quelque sorte une nouvelle offre en espérant qu’elle trouvera preneur et que de nouveaux voyageurs seront à nouveau tentés d’emprunter la voie ferrée.
Aujourd’hui, Nantes-Bordeaux, c’est 3 allers-retours par jour et 680 000 voyageurs par an. Nantes-Lyon, c’est 380 000 clients sur 2 allers-retours quotidiens*. A partir de ce levier incitatif, l’Etat veut montrer sa volonté d’augmenter la part du train dans les déplacements (le rail représente un peu plus de 10% du nombre total de voyageurs par kilomètres en France chaque année). Ces deux lignes pionnières sont donc regardées de près pour voir comment l’ouverture marche en France.
L’ouverture, c’est aussi parti pour les régions
Depuis le début de l’année, plusieurs régions ont annoncé leur volonté d’ouvrir, sans attendre 2023, une partie de leur réseau régional à la concurrence. C’est le cas de la région Hauts-de-France, de Grand-Est, des Pays de la Loire et de la région Sud. Après l’État, en tout ce sont huit régions qui ont annoncé la (nouvelle) couleur à SNCF, et qui sont prêts à lancer des appels d’offres à partir de 2020.
La région Sud est la première à avoir franchi cette étape. Après avoir reçu en 2018, la confirmation de l’intérêt de plusieurs opérateurs publics et privés, nationaux et internationaux, pour être candidats en cas d’appels d’offres (au cours d’un appel à manifestation d’intérêt), la région Sud lancera sa procédure au début de l’année prochaine. Il lui faudra aussi prendre en compte le temps de la commande : c’est-à-dire qu’après avoir attribué un marché à un opérateur (SNCF ou à son challenger), le nouveau client du réseau va devoir se rapprocher de SNCF Réseau pour commander ses sillons, c’est-à-dire faire son plan de transport effectif. Les lignes attribuées dans le cadre d’un appel d’offre ne sont pas « hors sol » : elles sont connectées au réseau et donc tributaires des circulations sur les lignes aux alentours ou des travaux, elles doivent assurer des correspondances aux voyageurs qui passeront ainsi d’un opérateur à un autre, en fluidité.
Un œil vigilant, celui de l’Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires et Routières (ARAFER)
Dès 2018, à la veille de l’ouverture effective du marché domestique voyageurs, l’ARAFER affirmait son rôle de régulateur d’un système entièrement ouvert en produisant sa propre contribution au débat. Ceci, à partir des retours effectués à l’échelle européenne auprès des autres réseaux déjà ouverts comme celui de l’Allemagne voisine, la levée des obstacles techniques ou juridiques pour la réussite de cette nouvelle étape du système ferroviaire, les conditions à suivre d’une ouverture efficace des services ferroviaires conventionnés, utiles aux territoires et aux voyageurs, et enfin les réponses à apporter comme par exemple sur les données essentielles à mettre à disposition des entreprises de transport pour assurer une compétition saine des offres de transport. Un passage sur le site de l’ARAFER est un incontournable pour celui ou celle qui souhaite en savoir plus sur ce nouveau marché régulé qu’est devenu le ferroviaire depuis presque 20 ans.
En mars dernier, l’ARAFER et les Régions travaillaient ensemble pour échanger sur la régulation des services conventionnés. L’occasion pour l’Autorité de rappeler le contexte général, le calendrier de l’ouverture et son rôle dans le cadre du contrôle des modalités d’ouverture. Pour que l’ouverture soit synonyme de renouveau du ferroviaire dans les territoires, mieux vaut appréhender en amont les difficultés qui pourraient être rencontrées dans la préparation des appels d’offres. Le rail – système de transport guidé et exploité à distance avec toutes ses spécificités et ses exigences en matière de sécurité – est bien une affaire de spécialistes, de techniciens… et de passionnés.
L’accès aux services du réseau mis en avant
Pour tout comprendre, il faut encore dire un ou deux mots sur un acteur dont nous avons parlé ici mais qui est encore peu cité dans les médias : c’est le gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau. Ce sera à cette entreprise de près de 50 000 personnes de procéder à la vente des droits d’accès au réseau. Comme sur une autoroute où vous devez vous acquittez d’un péage, les entreprises de transport qui souhaiteront proposer une offre aux voyageurs et aux régions devront elles-aussi payer leurs droits de passage. Métier complexe que celui de fournisseur d’accès quand 15 000 trains circulent chaque jour sur les 30 000 km de lignes !
L’ouverture rime ici avec tracés, grilles, trames et bonne couture. Du moins, c’est un rôle qui fera parler de lui dans les mois qui viennent puisque c’est au gestionnaire d’infrastructure d’être en quelque sorte le garant de l’équité du système, tout en assurant la sécurité de toutes les circulations (celles de SNCF et celles des futurs clients). Pour s’y préparer, un twittos bien informé a parlé de « POM » (programme ouverture marché Voyageurs) après une interview de Jean GHEDIRA, commercial en chef de l’entreprise SNCF Réseau.
Thierry Jankowski, le twitttos en question, communicant du Programme Ouverture de SNCF Réseau, qui s’occupe aussi du développement de « la vision Clients » explique qu’il faut « anticiper et bien se préparer quand on est gestionnaire d’infrastructure, pour offrir à tous les clients, actuels et à ceux qui viendront demain, un accès de qualité, un accompagnement réactif et qui pourra s’adapter à des besoins différenciés de nouvelles entreprises de transport, qui dans certains cas découvriront tout le potentiel du réseau. »
Vous l’aurez compris, l’ouverture du transport domestique de voyageurs constitue une nouvelle railvolution dans un système qui n’a pas arrêté de s’ouvrir depuis les années 2000 et avec des visions européenne et régionale du train. Au contraire d’une privatisation, elle est plutôt considérée par tous les acteurs (et même SNCF qui par la voix de son PDG, Guillaume Pepy, s’est dit « prête à répondre aux appels d’offres…et à les gagner ! ») comme une chance pour le rail en France. Ce qui est intéressant, c’est qu’en réalité nous sommes tous partie prenante de cette affaire, entreprises de transport, territoires, voyageurs, élus et citoyens.
Le Blog Territorial remercie Thierry Jankowski pour sa contribution à cet article !
Sources :
*Lyon Capitale