Les belles feuilles Numéro 1
Dans le cadre des belles feuilles de l’ouvrage “Stratégies numériques et community management des collectivités locales”, nous vous proposons aujourd’hui un entretien avec Eric André, directeur conseil chez Sennse, sur les dispositifs de concertation 2.0
Peut-on parler de révolution numérique dans le champ de la concertation publique ?
Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que l’essor des médias ou réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, You Tube, Dailymotion,…) tend à créer un espace d’échange et de partage propice à développer un « agir en commun » profondément renouvelé.
La réponse doit être cependant plus mesurée. Certes, les outils numériques libèrent l’information ou plus exactement l’accès à l’information ; dans le même temps, ils favorisent l’expression la plus diverse qui peut vite devenir cacophonique voire indigeste.
Quels freins peut-on identifier à ce jour ?
Le premier frein ne concerne pas l’information mais l’expression. La plupart des porteurs de projet ou de problématiques souhaitent conserver une maîtrise de la prise de parole pour éviter tout mensonge, désinformation ou propos injurieux. Il est donc rare de trouver des forums ouverts sans modération sur des sites Internet ou blogs de concertation. Cette posture n’est cependant pas tenable parce qu’à côté des sites « officiels » se créent souvent des sites parallèles, plus libres. N’oublions pas que grâce à Internet, l’opinion publique s’arroge le droit de discuter de tout !
Le deuxième frein est que la concertation vise à fabriquer du sens, de l’intelligence collective ; à créer les conditions d’un dialogue apaisé et, autant que possible, dépassionné. Il est donc nécessaire d’en définir le cadre et les règles du jeu. De ce point de vue, les réseaux sociaux sont trop libertaires et servent surtout de défouloir. Mais les progrès sont continus.
Cette liberté ne permet-elle pas au contraire de recueillir l’avis des « vrais gens » et pas uniquement des habitués ?
Par expérience, ceux qui s’expriment sur les réseaux, dans les forums, dans les commentaires ouverts sur les sites de journaux en ligne sont les mêmes que ceux qui interviennent lors d’une réunion publique. C’est un vecteur supplémentaire pour faire passer un message et le plus souvent une opposition.
A contrario, le Grand Angoulême a diffusé en direct sur son site web des tables rondes dans le cadre de l’enquête publique sur le projet de PDU qui ont été suivies par plusieurs milliers d’internautes ; Ils pouvaient réagir en « tweetant » leurs questions ou suggestions. Cela nécessite une organisation relativement lourde et performante que peu de collectivités peuvent ou souhaitent mettre en œuvre.
Les outils numériques seraient donc un mythe ? Une opportunité ?
La participation universelle aux concertations est aussi mythique que la participation unanime aux élections. Chacun s’intéresse à ce qu’il souhaite et c’est son droit. Ce qu’offrent les démarches de concertation c’est la possibilité de se saisir d’un sujet et d’en débattre avec la garantie d’une information loyale, complète et objective. Le numérique est donc un allié précieux pour les concertants car il permet de diffuser très vite l’information et d’en faire profiter le maximum de gens. Il s’agit là d’une réelle opportunité.
Pour autant, en ce qui concerne les moyens d’expression, il reste de grands progrès à réaliser en acceptant une fois pour toute que la prise de parole ne puisse être contenue et limitée. Une fois cette acceptation opérée, des mécanismes de régulation peuvent être mis en place.
Quelles sont aujourd’hui les plus belles réussites en matière numérique ?
Certaines concertations se sont construites autour de l’outil numérique et notamment la cartographie. La cartographie interactive permet ainsi de faire évoluer le diagnostic et de le rendre réellement partagé. C’est facile à mettre en œuvre.
Je pense également à un webdoc réalisé avec les habitants de Méru (Oise) à l’occasion de la mise en œuvre d’un Projet de rénovation urbaine (PRU). Ce webdoc est un outil interactif en permanente évolution. Ce n’est donc pas un objet figé. Il continue de susciter l’intérêt et offre une belle vitrine.
Mais les plus belles réussites sont évidemment à venir. L’usage des smartphones est très faible dans les concertations alors que les études montrent aujourd’hui que le téléphone portable est probablement l’objet le plus intime et le moins partagé entre individus. C’est donc un vecteur d’information et d’interactivité très fort. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements mais la relation directe entre acteurs d’une concertation via smartphone ou tablette deviendra rapidement incontournable.
Et la place des Community managers ?
Ils vont avoir une place prépondérante car ils devront gérer le flux d’information, organiser l’information, être un relai entre l’équipe technique d’un projet et l’internaute, chercher l’information manquante, solliciter la prise de parole, la faire fructifier, sans oublier de valoriser la démarche de concertation. A la fois un travail de journaliste, d’animateur, de manager, bref de chef d’orchestre. Et capable de beaucoup de persuasion envers les directeurs de la communication, de cabinet et des élus.
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