Hébergement d’urgence dans le 16e : politique 1 – démocratie locale 0

La récente réunion d’information organisée par la Ville de Paris et la Préfecture de Paris sur le projet d’installation d’un centre d’hébergement d’urgence, dans le 16e arrondissement de Paris, en bordure du Bois de Boulogne, fait couler beaucoup d’encre. Rarement, il est vrai, on avait vu autant d’habitants participer à une réunion publique et y tenir des propos assez véhéments voire orduriers à l’endroit des promoteurs du projet ou de l’hôte de la réunion, le président de l’université Paris-Dauphine.

Cela faisait bien longtemps aussi qu’on n’avait assisté à une telle bataille rangée à Paris entre deux camps bien identifiés : la gauche parisienne représentée par Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris en charge du logement issu du Parti communiste Français et Claude Goasguen, député-maire du 16e arrondissement, représentant Les Républicains.

De bataille rangée, au final, on a surtout assisté à une bataille idéologique tant sur le fond que sur la forme.

Concerter ? Mais pourquoi faire ?

Sur la forme, il est étonnant de constater que la Ville de Paris et la Préfecture de Paris ont choisi de se contenter d’une simple réunion publique « d’information » afin de présenter ce projet qui devrait accueillir près de 200 personnes en situation d’urgence.

La Ville de Paris s’enorgueillit pourtant d’une forte culture de la concertation sous l’impulsion de Pauline Veron, adjointe au maire chargée de toutes les questions relatives à la démocratie locale, la participation citoyenne, la vie associative, la jeunesse, l’emploi : nouveau plan de quartier parisien, aménagement des berges de Seine, prolongement du T3 vers l’ouest, aménagement des grandes places de Paris… autant de sujets mis en débat par la Ville de Paris.

Le site de la Ville de Paris, sur le sujet, est d’ailleurs étrangement silencieux alors qu’il existe par ailleurs une plate-forme dédiée aux sujets urbains sensibles. Cette discrétion à traiter de sujets complexes dans un environnement également complexe confine à une extrême pudeur et c’est peut-être là que le bât blesse parce qu’en réalité ce que révèle cette réunion c’est avant tout le refus des élus à discuter de sujets ou de projets qu’ils ne « verrouillent » pas. Contrainte et forcée, la Ville de Paris a cédé et organisé une réunion que de toute façon, elle ne sentait pas. Loin de ses terres, sur un projet hyper-sensible, la majorité municipale risquait de se retrouver en bien mauvaise posture.

Peut-être qu’en termes de communication et de visibilité médiatique, l’exécutif estime avoir fait le job et démontré que les « vieux bourgeois » du 16e étaient contre tout : les pauvres, les étrangers, les jeunes, la solidarité, etc. Laurent Joffrin, dans Libération du 18 mars évoque ainsi une « manifestation d’égoïsme bourgeois caricaturale », conforté par l’analyse de Monique Charlot-Pinçon évoquant le 16e arrondissement comme « l’entre-soi bourgeois ». Finalement, cette réunion publique a permis de montrer que décidément, ces gens du 16e sont réfractaires à toute solidarité, se dit-on à l’Hôtel de Ville.

En revanche, il n’est pas certain qu’on s’y interroge sur la démarche de participation citoyenne engagée ou sur la question de la démocratie locale… Que dire de cette réunion qui dans son organisation même créait les conditions de l’échec ? Une tribune surplombant des travées d’un public chauffé à blanc par des élus ravis de faire le « coup de poing ». Une mise en scène « théâtrale » qui n’a pas sa place dans un exercice de démocratie participative. Pas de débat, pas de dialogue et beaucoup d’idéologie…

L’idéologie contre la démocratie locale

Car sur le fond, ce projet brille de mille facettes idéologiques. D’une part, alors qu’une pétition circule sur Internet évoquant un projet devant tenir compte de « la quiétude des riverains, l’organisation des accès aux commerces, aux transports, la scolarisation éventuelle des enfants », le projet s’inscrit dans un lieu dépourvu de l’ensemble de ces structures : ni commerces, ni transports, ni écoles à proximité de ce site. Par ailleurs, tandis qu’il est évoqué par la préfète Sophie Brocas, secrétaire générale de la Préfecture de Paris, un lieu n’accueillant pas de migrants, cette même pétition rappelle que le projet est « destiné à tous ceux, celles, qui composeront le 115, sans abri, sans toit pour dormir (SDF, Réfugié(e)s, migrant(e)s, ou pas). »

Quelle est la réalité du projet et des conditions d’accueil ? Visiblement, les autorités publiques n’ont pas très envie de s’avancer sur le sujet et d’en préciser les contours… d’ailleurs, où peut-on trouver une information complète pour le public ? Le manque de transparence et d’information pèse lourd sur un tel projet et c’est bien dommage car c’est mettre de la défiance où certains évoquent à juste titre la confiance…

D’autre part, il était tellement facile pour les élus du 16e arrondissement de mobiliser les militants et sympathisants Les Républicains (l’essentiel des participants à cette réunion) et d’empêcher toute forme de débat qui aurait sûrement permis de discuter de la solidarité dans un environnement urbain rendu complexe par le coût du foncier, le repli d’une partie de la population… et peut-être d’évoquer aussi la solidarité du 16e arrondissement et ses nombreux centres d’accueil de personnes âgées notamment le centre de gérontologie de la Croix-Rouge Henry-Dunant, la clinique médicale et pédagogique Edouard Rist dédiée aux adolescents et jeunes adultes dans un cursus « soins-études », le centre d’animation Le Point du Jour, etc.

Cela aurait aussi permis d’évoquer la politique volontariste de la Ville de Paris en faveur de la construction de logements sociaux dans l’arrondissement au plus grand profit de tous malgré les réticences de la municipalité du 16e.

Ce face-à-face idéologique risque de faire de nombreuses victimes et parmi elles, le centre d’hébergement d’urgence. Mais a-t-on créé les conditions d’un débat serein ? A-t-on fait appel à l’intelligence collective revendiquée par les promoteurs parisiens de la démocratie participative ? A-t-on fait le choix de la réussite du projet ou de son échec ?

Décidément face à la politique, la démocratie locale est bien faible.

 

©Photo AFP

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