Dans les coulisses du Fact-checking
Lors des dernières élections présidentielles, une pratique journalistique a émergé. Issu des pays anglo-saxons et largement utilisé lors de la présidentielle de Barack Obama, le “fact-checking” est de plus en plus pratiqué en France. Instrument de démocratie ou de manipulation ?
En pleine expansion depuis 2007 et pour répondre à un besoin de transparence vis-à-vis des citoyens, le fact-checking est la “vérification des faits”. Nouvelle tendance du “journalisme participatif” sur le web, chaque internaute peut y contribuer. Il suffit d’avoir quelques outils à sa disposition : une base de données publiques bien fournie (INSEE, OMS…) pour pouvoir vérifier les informations, un journaliste-médiateur et un profil. Le principe ? Lorsqu’une personnalité, le plus souvent politique, cite publiquement un fait et un chiffre lui correspondant, leur véracité est précisément examinée. Utilisé majoritairement sur les réseaux sociaux, la moindre information politique ou économique est vérifiée, consolidée ou démentie. Dans l’instant qui suit, dossiers, rapports et autres formes de notes officielles viennent invalider ou appuyer les propos du locuteur.
“A l’origine l’objectif était d’accroitre la connaissance et la compréhension du monde politique”
Le fact-checking trouve son origine outre-Atlantique. Lancé peu de temps avant la présidentielle de 2004, Factcheck.org, affilié à l’Université de Pennsylvanie, est un des sites pionniers du mouvement. À l’origine, l’objectif était d’accroitre la connaissance et la compréhension du monde politique par le public. Lors de la présidentielle de 2008, le phénomène a pris de l’ampleur.
En France, de nombreux journaux ont suivi la tendance : Le Monde avec Les Décodeurs en 2009, le JDD avec les Détecteurs de mensonges et Rue 89 avec Contrôle Technique. Le journal Libération a quant à lui, lancé Désintox. Dans un premier temps inaugurée sur le web, la rubrique est rapidement devenue incontournable, jusqu’à occuper une place privilégiée dans la version papier.
Mais les journaux ne sont pas les seuls à se lancer sur ce marché. Alors qu’ITélé et OWNI s’associent pour lancer le “Véritomètre”, le site Vigie2012 étudie les déclarations des candidats à la présidentielle sur les questions européennes. Grâce à un “vrai-faux”, la vérité est au centre des préoccupations.
“Le fact-checking : bouclier contre les mensonges politiques ou instrument de manipulation”
En France la pratique est nouvelle et les avis divergent. Certains qualifient le fact-checking de bouclier contre les mensonges politiques: il permet de faire le tri entre les propos d’un candidat, déceler les vérités et corriger les approximations. En ce sens il aide à y voir plus clair. D’autres le perçoivent davantage comme un instrument de manipulation.
Les critiques faites contre le fact-checking portent davantage sur la méthodologie adoptée par les journaux. Ces derniers, selon leur tendance politique, sont accusés de prendre position et de manquer d’impartialité. Bien que Les Décodeurs s’expliquent à ce sujet: “la majorité est au pouvoir, par conséquent elle est beaucoup plus exposée à la vérification”, les journaux vérifieraient davantage les propos issus de responsables qui leur sont politiquement opposés. Pour certains, cette donnée conduit à une certaine manipulation vis-à-vis des citoyens.
“Les approximations créent une perte de confiance des politiques chez les citoyens”
Comme le disent “Les Décodeurs” : “le discours politique tend, depuis plusieurs années, à devenir un discours d’expert, de plus en plus truffé de chiffres, que l’on s’envoie à la figure comme autant de munitions dans le combat entre partis”. Or, cette profusion de données chiffrées lors des débats télévisés noie le téléspectateur et le désintéresse du contenu du débat. De plus, comme il induit obligatoirement des approximations, il créé une perte de confiance des politiques chez les citoyens. On pourrait aussi reprocher au fact-checking le seuil d’erreur adopté par les journaux. Sur ce point, les deux blogs considérés comme les références du fact-checking en France, “Désintox” et “Les Décodeurs”, ont une approche différente. Le premier a pris le parti de mettre en évidence uniquement les mensonges. Le second, révèle à la fois les erreurs, les approximations et les vérités avec les tampons “vrai”, “faux”, “plutôt vrai”, “plutôt faux”. Les “Décodeurs” précisent : “si après recoupement et authentification, la déclaration est avérée, alors par honnêteté on le dit. La transparence, c’est aussi dire quand quelque chose est vraie”.
Mais quelques questions subsistent. À quel moment pouvons nous dire qu’un propos est “plutôt vrai” et pas “plutôt faux” ? Bien que ces deux termes invitent à plus de précautions les notations peuvent être considérées comme biaisées, certains propos son jugés “plutôt faux” alors qu’ils auraient pu être évalués “plutôt vrai” et inversement.
“Un réel potentiel dans la démarche de transparence des journaux”
On s’aperçoit alors que l’évaluation du propos s’avère finalement très subjective, notamment en fonction du bord politique du journal ou même du journaliste. Certains considèreront donc que Nicolas Sarkozy ment sciemment et d’autres que son erreur est le fruit d’une omission ou d’une confusion. Cette question appelle à l’évaluation de chacun. Cette nouvelle pratique du journalisme est en plein essor et constitue un réel potentiel dans la démarche de transparence des journaux. Elle demande tout de même de nombreuses améliorations. Une règlementation plus rigoureuse visant à davantage de neutralité des journaux, mais aussi une standardisation des marges d’évaluation pourraient répondre à ces critiques qui lui sont faites. Et peut-être à long terme en faire un réel outil démocratique.
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