Concertez, débattez, consultez mais… décidez ! ou les malheurs de Notre-dame-des-Landes
François Hollande a donc tranché, Notre-Dame-des-Landes bénéficiera d’une nouvelle phase de consultation du public grâce à l’organisation d’un référendum local. Ce sera donc une énième version de la participation du public au processus de décision. Si débattre, discuter, partager, s’interroger, étudier, réfléchir, scénariser, concerter, soupeser sont devenus une spécialité française, décider semble beaucoup plus compliqué à un double titre : la peur de mécontenter et la peur de se faire désavouer. Pour finalement, ne rien faire ?
La peur de mécontenter
Il suffit qu’un mécontentement survienne pour figer une situation. C’est certes caricatural mais de récents exemples montrent bien à quel point la contestation fait peur. Les autorités publiques la craignent car elle peut devenir synonyme de médiatisation, de mobilisation, d’afflux… On a pu noter à diverses reprises des cartographies des « grands projets inutiles imposés » définis ainsi par les opposants. Ainsi, une carte de 100 projets signalés comme inutiles a été présentée largement reprise par la presse grand public (Le Monde) ou spécialisée (La Gazette des communes, Le Moniteur).
Derrière l’indignation et le mécontentement apparaissent toutefois des comportements assez politiques largement influencés par des groupes alternatifs ou autoproclamés de défense de l’environnement. Si certains de ces groupes peuvent devenir radicaux comme c’est le cas à Notre-Dame-des-Landes et comme c’était le cas à Sivens, la plupart du temps, il s’agit de citoyens engagés qui manifestent leur désapprobation au moyen de regroupements pacifiques.
Il y a quelques jours, on a pu voir circuler une vidéo tournée par France 3 Poitou-Charentes reprise sur Internet d’une dame de 72 ans, Katia Lipovoï, malmenée par des policiers lors d’une manifestation, on ne peut plus pacifique. C’est un moyen de neutraliser la contestation. Mais est-ce un bon moyen ? Cela donne-t-il l’image d’une démocratie apaisée alors que dans le même temps la ZAD Notre-Dame-des-Landes reste occupée, assiégée malgré de nombreuses décisions de justice ? Peut-être que les activistes de Notre-Dame-des-landes sont-ils plus dangereux ou obstinés que Katia Lipovoï ?
Ces images choisies intentionnellement montrent à quel point l’ampleur de la contestation peut soudainement freiner le recours la force publique même lorsqu’elle est dans son droit. Peur de choquer l’opinion publique ? Peur de mécontenter un électorat ? Notre-Dame-des-Landes est une caricature de la non décision politique.
La peur de se faire désavouer ?
On l’a bien vu, la justice est devenue un acteur incontournable dans la gestion des grands projets, intervenant dans les procédures au travers des multiples saisines ou recours. Au final, passer au travers du tamis judiciaire devient de plus en plus complexe, les juristes implorant une extrême prudence quand les ingénieurs égrènent les jours perdus.
L’intervention judiciaire est devenue un élément à part entière de la gestion du risque au même titre que le risque financier ou technique du projet. L’intervention judiciaire c’est également la peur d’être désavoué dans son travail voire tancé par le juge pour un mauvais respect des procédures légales et règlementaires dont la somme ferait pâlir Kafka !
Nul ne peut cependant rechigner à l’intervention de l’autorité judiciaire, garante, finalement de l’intérêt général. Après plusieurs péripéties autour de projets parisiens, le Conseil d’Etat a ainsi rappelé qu’en matière d’urbanisme, le PLU parisien avait vocation à être interprété de manière plus ouverte et s’est appuyé sur des passages de l’article insistant sur le souci d’éviter le « mimétisme architectural ». L’article en question autorisait par ailleurs « dans une certaine mesure la délivrance de permis pour des projets d’architecture contemporaine pouvant s’écarter des « registres dominants » de l’architecture parisienne en matière d’apparence des bâtiments, et pouvant retenir des matériaux ou teintes « innovants » » a expliqué le Conseil d’Etat.
Cette jurisprudence devrait libérer quelque peu les élus soucieux de défendre une vision audacieuse de l’urbanisme sans pour autant attenter au patrimoine existant. La décision du Conseil d’Etat est donc un réconfort et un appui du juge qui saura toutefois, à coup sûr, veiller à l’interprétation juste de cette décision au travers de nouveaux recours.
Et finalement, que faire ?
Le projet Notre-Dame-des-Landes a un intérêt tout particulier pour celui qui observe l’évolution des mécanismes de participation publique. C’est un projet quise discute depuis plus de 50 ans et de mémoire, il a dû écluser l’ensemble des procédures de consultation existantes : débat public organisé par la CNDP, présidé par Jean Bergougnoux en 2002, Grenelle de l’environnement en 2007, enquête publique en 2010, médiateur en 2012… Tout l’arsenal consultatif y est passé mais pour quel résultat ? Un référendum local dont les conditions d’organisation sont floues et qui a nécessité le lendemain de l’annonce du président de la République de réunir en urgence le conseil national de la transition écologique présidé par Ségolène Royal ?
Celui-ci a d’ailleurs donné un avis sur les modalités d’organisation de ce référendum au travers une délibération sur le projet d’ordonnance relative à la démocratisation du dialogue environnemental créant notamment « un dispositif de consultation des électeurs sur des projets relevant de la compétence de l’Etat, hors projets d’intérêt national, en tant que dispositif d’expression des citoyens en cas de crise ».
Peut-être est-ce la solution ? Peut-être que non. Et avant de se demander comment concerter il faut s’interroger sur pourquoi concerter ?
La participation du public n’est pas une lubie destinée à empêcher la réalisation de projets, c’est un moyen de favoriser la « citoyenneté réelle » pour faire un parallèle audacieux à « l’égalité réelle ». C’est un moyen de mettre sur la table des discussions les éléments constitutifs d’un projet sans obérer les informations les plus importantes : les objectifs, les bénéficiaires, e coût, les impacts et le ratio gain/perte. Si ces éléments sont globalement positifs pour la collectivité, il emporte l’intérêt général et son utilité publique. En revanche, s’il est défavorable à son environnement et ne représente qu’un intérêt limité pour la collectivité, l’utilité publique lui est refusée.
Tout cela fonctionne dans notre démocratie dès lors que la sincérité des informations données peut être vérifiée. Et là, ça se complique… Notre-Dame-des-Landes, on l’a déjà écrit, souffre d’une tare originelle : la sous-évaluation des données concernant l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique. Depuis 2002, les promoteurs du projet portent leur croix et cherchent à minimiser l’absence d’études alternatives au projet en montant une opération de lobbying relayée notamment via Twitter. Et régulièrement les mêmes arguments reviennent à la bouche des opposants : « vous nous avez menti ; vous nous avez manipulé ». Après cela, peut-on rétablir la confiance ?
Le souvenir du président de la CNDP, Christian Leyrit, participant une réunion publique sur le projet Cigéo, à Bure (Haute-Marne) et se faisant malmener par des activistes du mouvement sortir du nucléaire doit encore assombrir les couloirs de cette institution rompue au dialogue et à la défense du contradictoire. Fragilisée par ces attaques et la volonté de réduire au silence le débat public, la CNDP a choisi de répondre par l’autorité voire la force… mais à quel prix.
La défiance qui est née entre les institutions publiques et une partie des représentants de la société civile est à l’aune de celle qui s’exprime contre les partis politiques et les élus. Manque de transparence, négociations discrètes, accords secrets, autant de moyens que condamnent les contestataires. La participation du public, c’est l’éclairage de tous les recoins de la scène et non la focalisation d’un projecteur sur un sujet qu’on a envie de mettre en lumière.L’obscurité de la décision est donc considérée comme une faute originelle qui peut avoir la vie très longue.
De la ZAD à la ZAD…
Notre-Dame-des-Landes est finalement un révélateur prodigieux du serpent institutionnel voire une version moderne de l’arroseur arrosé. A l’origine, le projet a été créé en 1974 sous forme de zone d’aménagement différé (ZAD) dont la prescription était de 30 ans. En 2002, l’Etat a dû accélérer ce projet dormant pour éviter de perdre le bénéfice de cette ZAD. On connait la suite et la création d’une nouvelle ZAD – zone à défendre cette fois-ci – par des groupes de militants dont la composition sociologique pourrait faire l’objet d’une thèse.
Cette ZAD là ,’est pas un outil administratif et institutionnel. Elle n’est pas planifiée ou organisée par un maître d’ouvrage mais s’est insérée dans le bocage breton devenant un exemple d’occupation des sites contestés. Va-t-elle perdurer ? Sera-t-elle détruite ? Comment le gouvernement sortira-t-il de cette impasse ? En appelant la légitimité populaire à la rescousse au travers un référendum local dont la simple définition du périmètre va donner quelques sueurs froides ? Et que fera-t-on des militants délogés ? Où iront-ils manifesté leur opposition à cette société qu’ils rejettent ?
La question n’est pas anodine. Beaucoup de promoteurs de projets de maitres d’ouvrage craignent l’invasion, l’occupation, le foutoir quoi… Et la médiatisation qui va avec. S’il s’agit d’un projet public, les autorités ont développé suffisamment de résilience pour survivre. Mais s’il s’agit d’un groupe privé, comptable devant des actionnaires (qui pourraient être citoyens d’ailleurs) de mauvaises décisions ou de temps perdu et donc d’argent perdu : EuropaCity, Pierre & Vacances, Engie, Total… que feront ces maîtres d’ouvrages en cas de contestation violente ? Sauront-ils faire pression sur les pouvoirs publics pour faire décamper les plus récalcitrants ?
Auront-ils trouvé le graal de la décision publique ?
Décider, c’est tromper ?
Décider c’est choisir, c’est abandonner, c’est mécontenter, c’est mettre en colère… pour ceux dont les projets sont sensibles voire honteux… Mais pour celui qui est sûr de son coup, qui porte un projet utile, qui construit l’avenir et bâti le mieux ? Décider c’est coopérer, c’est dialoguer, c’est travailler ensemble, c’est favoriser l’expression même d’opposants, c’est assumer ses choix et les revendiquer. Décider c’est démontrer que l’intelligence collective est plus forte que la confrontation. Mais dans un système politique où seule la notion de rapport de force compte, est-ce audible ?
Notre société avance à une vitesse folle, pendant que nos institutions tentent de s’adapter à un rythme qui n’est pas le leur. Elles font des efforts pourtant mais face la vitesse de l’information rendue spectaculaire grâce à Internet et aux réseaux toujours plus interconnectés, elles ne peuvent pas lutter. Alors il faut s’adapter. Il faut construire de nouveaux cercles de discussion toujours plus intégrés ; créer des écosystèmes participatifs qui alimentent le débat, confortent la confiance et légitiment la décision.
S’ouvrir au dialogue nécessite de s’interroger, de procéder à une introspection, de changer la règle du jeu et d’en finir avec cette morgue et cette suffisance qui plus que certains projets créent les conditions du rejet et de la défiance. Prendre le public de haut et moquer son incompétence ou son inculture revient à le mépriser. Ce mépris revient à lui dénier le droit d’exprimer son avis, ses doutes et ses craintes. Cela revient à le déposséder de son droit citoyen et de son devoir citoyen. Rien ne sert de le supplier de voter lors des élections si c’est pour le snober lors de concertations locales.
La confiance ne s’impose pas : elle ne se décrète pas. Elle se nourrit du respect des individus, du respect des règles et du respect des institutions librement choisies. Pour Horace, « Celui qui a confiance en lui mènera les autres » ; celui qui confiance en son projet, le mènera au bout.
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