Annoncer le changement de date d’un projet majeur

L’écueil fatal qui guette la communication de tout projet d’infrastructure est celui de sa date de mise en service. Quelle pression autour d’un jour à déterminer souvent plusieurs années à l’avance ! Une première pression des élus et décideurs qui souhaitent bien souvent déterminer une date en cohérence avec un calendrier électoral, une deuxième des services techniques du Maître d’Ouvrage dont c’est le rôle d’organiser vision politique et mise en marche de la machine à bâtir, une troisième des Maîtres d’œuvre à la tâche compliquée par l’irruption quotidienne des surprises que peut renfermer un sous-sol ou les caprices des saisons, une quatrième des procédures administratives et recours possibles, une cinquième de l’usager qui exige une date puisqu’on lui parle d’avenir, etc. Le tout aboutissant généralement à une annonce plus ou moins précise mais qui se figera néanmoins dans l’esprit des publics cibles du projet. On parlera dès lors dans les gazettes et les chaumières de mise en service « pour la fin de telle année », « d’inauguration au printemps », « d’avant la fin du mandat », voire du « 1er septembre » ou du « 1er janvier »…

Peu importe sa forme, une fois l’information émise, que ce soit oralement dans une réunion publique ou par écrit sur un site Internet ou un journal du projet, la date fait foi. Et son dépassement devient alors la plus grande des hantises pour tous les acteurs du projet. Il faut tenir la date. A tel point qu’elle en devient parfois un objectif prioritaire déraisonnable. Il faut tenir la date, un point c’est tout.

Pauvre communicant confronté à son changement. C’est à lui qu’échoit la lourde tâche d’imaginer alors la pirouette qui fera passer la pilule. L’annonce subtile d’une saisonnalité lui laissera 3 mois de répit (eh bien oui, le printemps dure au moins 3 mois et avec l’été qui ne vient pas on peut tirer jusqu’à 4 ou 5, non ?), une année ou plusieurs qui basculent et on est dans la catastrophe industrielle (« il fallait lire 2019 en lieu et place de 2016 » ne fonctionne pas, je vous le confirme). Bien entendu tout retard s’explique mais quand la dite explication n’est qu’une cascade de décalages dus aux décalages précédents autant se taire. Certains on cru trouver la martingale : « les raisons de sécurité ». Ça peut marcher ; une fois. D’autres se la jouent marlous en faisant disparaitre toute trace de la date précédente… Las, il reste toujours un « Mise en service en 2013 » sur un panneau oublié au fin fond d’une impasse.

L’annonce du changement de date demande un vrai courage : celui d’un portage au même niveau que lors de sa première sortie. La stratégie du glissement sémantique, du subtil effacement, ne sert à rien ! Les usagers sont aujourd’hui des experts éclairés, en relation permanente avec l’information (outils digitaux oblige) et les projets d’infrastructure n’ont pas le droit à l’oubli, eux. Le stratège en fera un atout, n’excusant pas un retard mais apportant une nouveauté au projet, une dimension supérieure à celle qui était la sienne lors de son lancement. Dans sa forme et sur le terrain, cette nouveauté devra être perceptible : phase 2, identité graphique nouvelle, etc. Un retard peut même être l’occasion de relancer un intérêt nouveau par un dispositif de concertation. L’essentiel est de considérer le futur usager comme une partie prenante, pas une partie subissant.

Comme toute communication de crise, le changement de date de livraison d’un projet demande une réflexion dépassionnée et une créativité exacerbée. Un rêve pour les communicants en quelque sorte.

Olivier Genevois

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Olivier Genevois

Elevé à la pub des 80′s, biberonné au réalisme du marketing, enthousiasmé par les questions globales liées à la Cité, j’ai co-fondé Sennse avec ce joyeux mélange d’aspirations personnelles et de savoir-faire professionnel. Depuis plus de 25 ans je décortique ainsi les enjeux techniques et politiques des institutions, je réponds aux questions très concrètes des opérateurs de transport, je partage les réflexions d’avenir des urbanistes, je me confronte aux exigences divergentes des usagers-consommateurs-citoyens.

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