Cinq règles d’or pour le storytelling
Pourquoi certaines idées survivent et d’autres meurent ? Chip Heath, professeur de psychosociologie des organisations à l’université de Stanford, et Dan Heath, conseiller en formation des dirigeants à l’université de Duke ont listé six conditions. L’une d’elle est le fait qu’une idée soit présentée sous la forme d’un récit : un plaidoyer pour le storytelling ! Quant aux cinq autres, elles fournissent une grille permettant de vérifier la qualité d’une action de storytelling, et au-delà de toute communication.
1. Simplicité
Les histoires les plus simples sont les plus stables et les plus pérennes. Dans mes formations, j’illustre souvent ce principe de la manière suivante. Je demande aux participants de sortir de la salle et d’entrer un à un à chaque fois que j’ouvre la porte. Quand le premier arrive, je m’exclame : “Ah, chéri, tu tombes bien. Le pneu arrière de la voiture est crevé, je n’ai pas pu aller chercher les enfants à l’école. Peux-tu t’y rendre ? Et prendre du pain et des carambars en même temps. J’ai laissé trois euros soixante-quinze sur la petite table basse dans le salon…” Ce participant a pour consigne de répéter cette phrase au suivant, et ainsi de suite jusqu’à ce que le groupe entier ait réintégré la salle. Le message retenu par le dernier participant est toujours saisissant – surtout pour le premier ! Des omissions, généralisations et transformations successives ont laminé le message initial. Seules une ou deux idées subsistent sur les sept d’origine, dix à quinze mots sur les cinquante-cinq initiaux.
“Plus une histoire est inattendue, plus elle a de chances de déclencher une alerte mentale chez la cible”
Si elle n’est pas simple, une histoire sera dénaturée. Ce qui ne veut pas dire qu’elle doit être simpliste ! “La simplicité est la sophistication suprême” disait Léonard de Vinci. Sa base – son pitch dans le jargon des scénaristes – doit être synthétique et donner une direction claire qui pourra ensuite étoffée et complexifiée.
2. Inattendu
Faîtes l’expérience suivante. À la fin d’une journée bien remplie, notez spontanément les messages publicitaires qui ont retenu votre attention depuis le matin. Puis listez toutes vos expositions à des messages publicitaires et essayez d’en évaluer le volume : déroulez mentalement le fil de votre journée en pensant aux annonces radios diffusées lorsque vous étiez en voiture, aux panneaux d’affichage qui s’égrainait le long de votre parcours, aux résultats promotionnels mis en avant par Google, aux publicités facebook, aux dépliants déposés dans votre boite aux lettres, aux spots télévisuels, etc. Inutile de faire un pourcentage exact, il y aurait trop de 0 après la virgule pour que cela ait un sens ! Cette accumulation est un défi pour les communicants.
“Lorsqu’un capuccino entre en scène, nous l’imaginons à partir d’un capuccino que nous avons déjà bu”
Plus une histoire est inattendue, plus elle a de chances de déclencher une alerte mentale chez la cible et de capter son attention. En outre, cela augmente son encodage en tant que souvenir singulier et donc la mémorisation du message qu’elle véhicule.
3. Concret
Un exemple donné par Sue Glauke, coach en présentation en public. Première version : L’autre jour, j’étais dans un magasin d’informatique et le vendeur a été si bon que j’ai acheté plusieurs choses. Seconde version : Vendredi, je suis allé chez TriStar Computer à Arlington. Un vendeur nommé Gordy m’a offert un capuccino. En quelques minutes, il m’a posé toutes les bonnes questions. Il m’a montré les modèles dont j’avais besoin, comment ceux-ci fonctionnait. Une heure après, j’étais dehors avec deux PS et un rendez-vous pour une installation. La démonstration est parfaite. Il est clair que la première version, générale, présente des faits dont on reste extérieurs alors que la seconde, concrète, nous donne le sentiment d’être véritablement aux côtés de Sue Glauke. Bien sûr, nous oublierons la plupart des détails. C’est sans importance car ils ne sont là qu’en tant que points d’accroche pour faire entrer dans l’histoire. Ils agissent notamment en prenant appui sur nos propres expériences antérieures. Lorsqu’un capuccino entre en scène, nous l’imaginons à partir d’un capuccino que nous avons déjà bu, ce qui rend le récit tangible.
4. Crédibilité
Pendant plusieurs mois, fin 2010 et début 2011, la rumeur de la censure de la chanson La femme grillagée de Pierre Perret circula sur le web puis dans les médias classiques. Pourtant, une rapide analyse des faits suffisait à montrer que cette assertion est totalement fantaisiste. Sur mon pc personnel, il ne fallait que 0,06 secondes à Google pour me donner les multiples sites où la chanson pouvait être écoutée ou son clip visionné.
“La communication narrative ne prend toute sa dimension que si elle intègre une part affective”
Le deuxième résultat était d’ailleurs une vidéo de l’émission Champs Élysées – suivie par 5,8 millions de spectateurs selon le site web tvmag.com. Comment est-il possible que cette histoire sans fondement ait couru aussi longtemps ? Pour deux raisons. D’abord car elle s’inscrivait dans un contexte général de concurrence entre l’extrême-droite et une partie de la droite entretenant beaucoup de fantasmes, peurs et contre-vérités sur la laïcité, l’islam, l’immigration. Ensuite car elle était relayée par François-Marie Gonnot, député UMP de l’Oise, qui y croyait dur comme fer ! Ces deux facteurs l’ont rendue crédible, elle a donc “collé”… un temps. Pour qu’une histoire “colle” plus durablement, mieux vaut que sa crédibilité repose sur une certaine véracité.
5. Émotion
“Des anecdotes.” J’ai le plaisir d’accompagner Michel Bisson, maire de Lieusaint depuis douze ans. Et pendant ces douze ans, j’ai assisté douze fois à un quasi-rituel : sa recherche d’anecdotes pour alimenter son discours de vœux aux habitants. Et chaque fois, le jour J, le procédé fonctionnait. En partageant quelques morceaux choisis de sa vie d’élu avec ses administrés, il établissait une connexion émotionnelle avec l’assistance – à tel point que cela me valut à plusieurs reprises des félicitations d’invités pour des textes que je n’ai jamais écris !
La communication narrative ne prend toute sa dimension que si elle intègre une part affective. L’émotion qu’elle provoque est alors une énergie qui alimente l’appétence de l’auditeur ou du lecteur pour l’histoire. Les cibles deviennent demandeuses, ce qui maintient leur intérêt, renforce la pénétration du message et favorise leur adhésion. Le cœur a ses raisons que la raison ne connait point écrivait Pascal. Le storytelling atteint son efficacité maximale quand il parvient à s’adresser à la fois à la raison et au cœur.
Ces règles d’or sont développées et présentées avec des exemples d’application dans l’ouvrage Storytelling : Enjeux, méthodes et cas pratiques de communication narrative
Un autre regard plus négatif sur le storytelling dans l’interview de Robert Zarader sur le blog des jeunes communicateurs publics >>>
http://jcp.communication-publique.fr/?q=interview-de-robert-zarader-la-communication-publique-allier-le-classicisme-la-modernite
“le storytelling est un artifice de communicant.” “oui au making off, non à la scénarisation.” Ce n’est pas vraiment un regard, juste un jugement hâtif.
Faut-il abandonner la sémiologie pour concevoir une affiche, la dialectique pour structurer un discours, l’écriture SEO pour favoriser le référencement d’un site internet, etc. Sous prétexte que ce sont des artifices de communicants ?
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