Régions, départements : quel rôle dans la sécurité de demain ?
Depuis 1982 et les premières lois de décentralisation, la sécurité a petit à petit trouvé sa place dans le débat local. La loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance a d’ailleurs consacré le maire comme pilier dans ce domaine. Mais au-delà de la commune et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui y sont attachés, quel pourrait être le rôle des deux autres grandes collectivités territoriales, la région et le département, dans ce domaine ?
Écrivons-le dès maintenant : la sécurité ne fait a priori pas partie des domaines de prédilection des conseils généraux et régionaux. Elle ne figure pas dans les articles du code général des collectivités territoriales (CGCT) précisant leurs compétences propres (l’article L. 3211-1 pour le département et L. 4221-1 pour la région). Cependant, comme l’a reconnu le comité pour la réforme des collectivités territoriales dans son document de travail : “Dans l’état actuel du droit positif, donc, toute collectivité locale peut, sans excéder ses compétences (…) agir dans tout domaine présentant un intérêt local (communal, départemental ou régional selon les cas), alors même qu’aucun texte particulier ne serait venu lui reconnaître de vocation à traiter la matière.”
“La région et/ou le départements pourraient parfaitement intervenir en tant que pourvoyeurs de moyens”
Concernant chacun d’entre nous, la sécurité peut donc entrer dans le champ de débat des enceintes départementales et régionales. Elle est d’ailleurs déjà présente implicitement dans les domaines à la charge de ces collectivités comme les lycées ou les transports. Le conseil régional d’Ile-de-France indiquait par exemple en 2010 avoir dépensé plus de 57 millions d’euros entre 1999 et 2009 pour sécuriser les lycées franciliens.
Du coup, la voie semble ouverte pour des initiatives. Quelles pourraient-elles être ?
Nous pouvons évacuer immédiatement du débat un point particulier, voire une sorte de fantasme. À l’heure où l’interrogation est posée sur le fait de doter ou pas les présidents d’EPCI de pouvoirs de police à l’image des maires, il ne semble pas réaliste ni opportun d’envisager cette solution pour les présidents de conseils généraux ou régionaux. Cela aboutirait à un empilement supplémentaire de compétences sans grand intérêt. En revanche, la région et/ou le départements pourraient parfaitement intervenir en tant que pourvoyeurs de moyens. Creusons de ce coté…
Les polices territoriales (j’utiliserai ce terme pour évoquer l’ensemble hétérogène formé par les polices municipales, gardes champêtres et agents de surveillance de la voie publique) ont connu ces dernières années un développement exponentiel. Ces créations répondaient à des perceptions et à des objectifs très différents selon les collectivités. Pour certaines, il s’agissait d’une baisse jugée excessive des effectifs de la force de sécurité nationale territorialement compétente alors que pour d’autres, c’était une vision sécuritaire différente de celle du gouvernement, soit plus axée sur la proximité soit au contraire concentrée sur l’intervention et les interpellations. Rappelons à ce stade que la doctrine d’emploi d’une police territoriale est fixée par l’autorité dont elle dépend et non, en tout cas à l’heure actuelle, par l’État. La création d’un service de police territoriale reste facultatif, le service de la sécurité publique devant être rendu de la même manière dans tous les points du territoire français par les forces nationales : gendarmerie et police. Cette situation devrait d’ailleurs perdurer, une délégation aux collectivités territoriales entrainant un cout insurmontable pour elles et une inégalité entre régions riches et pauvres.
“La réforme des polices territoriales est en cours”
Notons enfin que la réforme des polices territoriales est “en cours”. Après maints rapports, groupes de travail suivis d’autres rapports, rien de réellement convainquant n’a encore émergé. Des compétences sont ajoutées ça et là au gré des textes législatifs avec plus ou moins de succès [1] mais aucun texte d’ensemble n’a concerné les polices territoriales depuis 1999. [2]
Pour l’intérêt de notre raisonnement, présumons qu’une collectivité, commune ou EPCI à fiscalité propre [3], ait décidé de créer un service de police territoriale. L’intérêt pour cette dernière est de maintenir une permanence du service, mais cela est difficile. La ressource en personnel pour effectuer les remplacements en cas de stage, maladie ou autre doit s’effectuer en interne et les statuts d’agent de police municipale ou de garde champêtre exigent un double agrément et une formation. Si l’intérim est faite par un ASVP, il faut qu’il soit assermenté. Le remplacement ne peut donc se faire par le premier agent municipal venu et au pied levé. Il faut absolument anticiper. Pour les collectivités importantes, cela ne pose a priori pas de problème, les services étant constitués de suffisamment d’agents. Mais en milieu rural, les collectivités ne sont pas forcément financièrement bien dotées. Il faut donc soit se résoudre à recruter un petit effectif d’un ou deux agents –mais cela présente-t-il un réel intérêt sur des territoires parfois immenses ?– soit renoncer à ce projet.
Une solution parmi d’autres pourrait être le recrutement d’agents par les conseils généraux ou régionaux qui les mettraient à disposition des communes. Cette possibilité existe déjà par le biais d’un article méconnu du CGCT, l’article L.2213-17 qui dispose notamment en son alinéa 2 : “Une région, un département ou un établissement public chargé de la gestion d’un parc naturel régional peut recruter un ou plusieurs gardes champêtres compétents dans chacune des communes concernées (…)”. Les agents sont alors nommés conjointement par le président de la collectivité de recrutement et par les maires des communes concernées. Certes cette disposition ne concerne actuellement que les gardes champêtres mais pourquoi ne pourrait-elle pas être étendue aux agents d’une future “police territoriale” ? Et puis, même sans réforme, les gardes champêtres existent encore, alors autant en profiter !
“Les conseils généraux et régionaux se retrouvent ainsi impliqués dans la sécurité locale quotidienne”
En tout état de cause, le recrutement d’agents –gardes champêtres actuellement– pourrait permettre par exemple d’assurer un service de remplacement dans les petites communes –voire dans les grandes, dans des brigades spécialisées par exemple– ou de créer un service sur plusieurs communes sans tenir compte du périmètre d’un EPCI pré-existant. Ce dispositif existe déjà par exemple dans le Haut-Rhin. Dans ce département, la législation en vigueur oblige chaque commune à disposer d’un garde champêtre. Un syndicat mixte impliquant le conseil général et les communes le désirant a été créé pour mutualiser hommes et matériels et permettre à toutes les collectivités d’être en conformité avec ces textes avec un service permanent, des personnels formés et du matériel en conséquence.
Ce sont ainsi non seulement les hommes mais aussi les moyens qui se trouveraient mutualisés par un tel dispositif qui présenterait plusieurs intérêts :
1. Le service reste facultatif et le principe de libre administration des collectivités territoriales serait donc respecté
2. Les collectivités disposent d’un vrai choix budgétairement viable et réversible
3. L’effectivité du service est garantie puisque des solutions de remplacement existent tant pour les moyens humains que matériels
4. Les conseils généraux et régionaux se retrouvent impliqués dans la sécurité locale quotidienne et gagnent ainsi en visibilité vis-à-vis de leurs administrés
Voici donc un dispositif innovant qui ne demande qu’à voir le jour mais il faudra une réelle volonté politique pour le mettre en œuvre. Reste à savoir qui osera…
[1] Voir la décision du Conseil Constitutionnel n°2011-625 DC du 10/03/2011 portant sur la Loi d’orientation de programmation pour la performance de la sécurité intérieur (LOPPSI) et censurant notamment plusieurs dispositions octroyant de nouvelles compétences aux polices municipales.
[2] Il s’agissait alors de la loi n°99-291 du 15/04/1999 relative aux polices municipales.
[3] Comprenez communauté de communes, communauté d’agglomération ou communauté urbaine.
[post-views]
bonjour,
L’échelon intermédiaire/supplétif existe depuis la réforme territoriale qui donne aux présidents des EPCI des compétences en matière de police spéciale. Je pense comme Cedric, il faut créer des contingents mobiles sur des espaces territoriaux relevant des CR ou CG de façon à pouvoir s’adapter à des besoins territoriaux sur des espaces plus pertinents.
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