Mettre en place une marque territoriale
Pour comprendre le marketing territorial, nous vous proposons une série d’articles rédigés par Marc Marynower pour les éditions Weka.
Découvrez ici le deuxième article de la série.
Le contexte
Dans un environnement concurrentiel accru, le marketing territorial (ou, en anglais, « place marketing ») a pour objet d’attirer et de fidéliser, sur un espace donné, hommes et capitaux (retrouvez le premier article sur l’initiation au marketing territorial).Mener une démarche de marketing territorial amène à considérer différentes variables, de façon à ajuster au mieux l’offre du territoire et la demande des marchés auxquels il s’adresse : produits et services offerts, conditions financières, mode de mise sur le marché, politique de communication (qu’il s’agisse du champ de l’attractivité touristique, économique, résidentielle, universitaire,…).
C’est sur ce dernier volet, la communication, que se sont développées, depuis moins de dix ans en France, un certain nombre de marques territoriales, avec un succès prometteur pour quelques-unes, bien pensées… et un évident déficit d’appropriation et d’efficacité, pour d’autres. Ainsi, ce phénomène, connu sous le nom de place-branding (city-branding pour les villes), divise : ses partisans y voient un nouvel outil marketing, ses détracteurs y voient un simple effet de mode…
Alors, marque ou pas marque ? L’article qui suit démontrera que la création d’une marque peut s’avérer stratégique ou pas : elle doit découler d’une soigneuse analyse d’opportunité et obéir, pour réussir, à certaines règles validées par les premiers retours d’expérience.
En pratique
Les territoires ont, de tout temps, porté un nom. Pour autant, ils créent parfois des marques : quelle différence entre un nom et une marque ? Entre Lyon et OnlyLyon par exemple…
Un nom désigne simplement un territoire ; une marque va plus loin, sur le plan marketing, afin de chercher à capter davantage de valeur sur le marché. Comment ? En mettant en récit le territoire, en le différenciant de son environnement concurrentiel par une promesse spécifique (un contrat tacite passé avec le « client », valorisant pour lui) basée sur son positionnement, en éclairant sa personnalité de façon attirante, en affirmant ses propres valeurs, en développant un lien de confiance….
Étape 1(fonction) : penser le rôle de la marque
En matière de marketing territorial, le rôle de la stratégie de communication consiste, selon les cas, à faire connaître un territoire, à le doter d’une image positive (ou à corriger une mauvaise représentation), à le positionner en exprimant sa différence face à des territoires concurrents, à motiver les acteurs présents à s’y impliquer, et à convaincre de nouveaux publics de le rejoindre. En bref, de donner envie de visiter, habiter, entreprendre, investir sur le territoire.
Une stratégie de marque aura pour fonctions de créer et cristalliser autour d’elle – à valeur de socle des actions marketing – constituant un « phare » sur le marché, de l’intérêt, du désir (image de marque), de la préférence (attractivité), de l’attachement (fierté d’appartenance) pour le territoire, de concourir à développer ses activités et à justifier une politique de prix « tenue » (effet dit « prime de marque »).
Créer une marque peut contribuer à la réussite d’une stratégie de communication
À condition que le territoire faisant l’objet de la marque fasse sens dans l’esprit de ses publics. À condition que soient bien définis à l’avance ses objectifs et ses champs de légitimité. À condition que les autres variables marketing (offre de produits et services, conditions financières, mode de mise sur le marché…) soient performantes. À condition que la marque soit bien conçue, tant sur le fond que sur la forme. À condition qu’elle soit créée puis gouvernée de façon stratégique et pérenne. À condition qu’elle soit appropriée en intra-territorial, et relayée par le maximum de forces vives du territoire. À condition que des moyens suffisants y soient affectés….
Comme on le constate ci-dessus, la création d’une marque exige une profonde réflexion stratégique et un grand savoir-faire. L’observation montre que les marques créées sans fondement stratégique ou mal pilotées sont vouées à un échec quasi-assuré…
Étape 2 (stratégie) : élaborer une politique de marque pour le territoire
Bien évidemment, on ne crée pas une marque… pour créer une marque, mais pour servir une stratégie de marketing territorial, qui – elle même – présuppose qu’il y ait un territoire… et un projet de territoire.
La démarche méthodologique de création de marque s’organise en plusieurs étapes.
Le diagnostic : comprendre la situation, l’état des lieux
Il s’agit à ce stade, au travers d’un important travail associant étude documentaire, rencontres d’acteurs, études intra et extra-territoriales, du benchmarking… de :
– dresser l’identité du territoire, constituée aussi bien par des éléments « physiques » : géographie, climat, facilité d’accès transport, matières et couleurs, patrimoine (architectural, culturel, paysager, gastronomique… par exemple), infrastructures, équipements… que par des éléments « psychologiques », en lien avec l’histoire, la sociologie, la culture, le caractère ou comportement de ses habitants et symboliques (personnalités, sites, objets, produits ou signes symboles), des éléments démographiques, économiques, touristiques, médiatiques… ;
– analyser l’offre du territoire : caractéristiques des produits et services offerts, niveau de prix et aides mobilisables, organisation de la mise sur le marché ;
– comprendre la gouvernance, l’organisation, les structures concernées et leur mode de relation aux publics intra et extra-territoriaux ;
– les contextualiser dans le temps (histoire et projets d’avenir, mais aussi calendrier des mandats) et dans l’espace (quels autres territoires comprend-il – parfois plus connus que le « grand » – et dans quels autres territoires, plus larges, s’inscrit-il ?),
– dresser une cartographie des parties prenantes intra et extra-territoriales (recensement, caractérisation quantitative et qualitative…) : qui sont ces publics ? où sont-ils ? quelles sont leurs motivations, leurs attentes, leurs besoins ? et leurs freins ? quelle est leur connaissance, leur perception, leur pratique du territoire ? comment fonctionne leur chaîne de décision ? quelles interactions opèrent entre les parties prenantes ? …
– mais aussi analyser la concurrence, directe et indirecte, et recenser les menaces et opportunités d’ordre politique, économique, socio-culturel, technologique, environnemental, législatif… qui vont compliquer ou, au contraire, favoriser la démarche.
Les bons questionnements avant l’action
Ce diagnostic, dont le résultat peut être synthétisé sous forme de matrice SWOT, amènera à s’interroger notamment sur :
– la légitimité du territoire à créer une marque, la question de « la bonne échelle » (l’échelle de mon territoire est-elle la plus adaptée à ma problématique d’attractivité, donc à mon projet ? Quel est mon territoire, non pas au sens administratif du terme, mais de la manière dont il fait sens dans l’esprit de mes publics cibles ? N’ai-je pas intérêt à m’inscrire dans la dynamique d’un territoire voisin, ou plus grand sachant que la « bonne échelle » peut varier selon les cibles visées?
Par exemple, Saint-Nazaire aura intérêt à intégrer, à l’international, la démarche « Nantes, Just imagine » plutôt que de chercher à promouvoir – sans les moyens nécessaires – son propre territoire… tout en, en national, défendant sa spécificité à travers la démarche « Saint-Nazaire, Audacity ».
– le périmètre, spécifique ou transversal, de la démarche d’attractivité : les différents champs sur lesquels je veux agir (attractivité économique, touristique, résidentielle… voire l’exploitation de la marque en termes de qualification de produits) se raisonnent-ils à même échelle, en termes de publics visés ? Quels sont les différents publics auxquels je veux m’adresser (régional, national, international, quelle géographie et quelle typologie) ?
Puis-je définir un seul et même positionnement pertinent sur ces différents champs, et ces différents publics… et donc adopter une marque d’attractivité transversale ? Ai-je intérêt à le faire ?
Par exemple, Reims raisonne différemment sa promotion économique, avec la démarche « Invest in Reims » inscrite dans la modernité et sa promotion touristique, reposant naturellement sur l’imaginaire très traditionnel du Champagne…
– la maîtrise de la marque et de son devenir, la gouvernance : à qui doit appartenir la marque ? Par qui et avec qui doit-elle être gérée ? Sous quelles conditions et dans quel calendrier la partager avec des partenaires, publics et/ou privés, pour en assurer la propagation sans risquer la banalisation ?
Certaines marques sont gouvernées par une collectivité (exemple, la Région pour la marque « Originale Franche Comté »), d’autres par une organisation satellite, agence de développement économique et/ou touristique (exemple, l’Agence d’Attractivité de l’Alsace, associant les deux compétences, pour la marque « Alsace »), d’autres par une association (exemple, la marque « Auvergne Nouveau Monde », initiée par la Région mais aujourd’hui de statut indépendant, avec des membres publics et privés).
– les ressources, matérielles et immatérielles, mobilisables pour développer la marque : quels moyens humains et financiers, publics et privés, pour mettre en oeuvre la démarche ? Car une marque ne fonctionne que si elle est suffisamment promue, soutenue.
Et à quoi bon reproduire le mille-feuille administratif en mille-feuille de marques, sinon pour des questions d’ego… avec, pour corollaire, un territoire illisible avec de multiples marques éparpillant les ressources, et sans les moyens d’émerger !
Par exemple, la démarche OnlyLyon rassemble treize membres fondateurs institutionnels et onze partenaires privés, contribuant à financer son équipe dédiée (7 personnes) et son plan d’actions. Autre modèle, la Bretagne développe une marque partagée avec déjà plus de 500 partenaires publics et privés, qui s’engagent à la promouvoir…
Définir précisément le rôle à jouer par la politique de marque
Le diagnostic permet de définir la situation de communication actuelle (notoriété, image/représentations, pouvoir d’attraction du territoire). Il s’agit maintenant de définir la situation de communication recherchée à terme… pour cadrer précisément, les enjeux communicationnels*, le « chemin à parcourir » par la politique de marque (si l’étape précédente en a justifié la création…) : de qui voulons-nous être mieux connus ? Sous quelle image ? Au travers de quels arguments-clés ? Sous quel positionnement concurrentiel, différenciateur et prometteur pour les cibles ?…
Par exemple, il pourra s’agir de faire connaître et localiser une nouvelle station touristique, de corriger l’image négative d’une destination et/ou de restaurer la confiance des acteurs locaux, de faire reconnaître la vitalité économique d’une région, d’inciter à venir « essayer un territoire » pour aller au delà d’un simple succès d’estime…
* Ces enjeux sont à définir par famille de public :
– à l’interne (institution) et en intra-territorial (citoyens) : enjeux de compréhension, adhésion, valeurs partagées, mobilisation, fierté d ’appartenance, appropriation, prescription (ambassadeurs)…
– auprès des « clients et prospects » (il peut s’agir de cibles résidentielles, touristiques, économiques, étudiantes…) : enjeux de connaissance, de représentation, d’intérêt porté, de confiance pour inciter ces publics à l ’action…
– auprès de influenceurs et relais d’opinion (exemples : les élus, les socio-professionnels, les gestionnaires de sites touristiques, les entreprises, les associations, les journalistes, les personnalités leader d’opinion… ): enjeux d ’opinion, de reconnaissance, de coopération…
Étape 3(création) : définir formellement la marque
Une marque est bien plus qu’un logotype : elle se conçoit et se développe sur deux plans, celui du contenu et celui de l’expression. Et le fond précède la forme…
Élaborer la plateforme de marque
L’élaboration de la plateforme de marque, partant du diagnostic du territoire et de l’analyse de son environnement, interroge les acteurs en charge du marketing territorial sur leur vision prospective des marchés, actuels et à venir, sur lesquels se situe ou se situera la marque, sa mission, ou raison d’être, vis-à-vis des publics, l’ambition concrète poursuivie et les résultats attendus, les qualités et savoir-faire spécifiques sur lesquels s’appuyer, les valeurs qui la guident, la promesse distinctive qu’elle exerce à l’égard de ses cibles (en quelque sorte, l’engagement, le « contrat » moral passé entre le territoire et ses publics).
Une fois ces fondamentaux réunis, est formalisé le positionnement recherché, à savoir la façon dont la place que souhaite occuper la marque (et par là-même, le territoire) dans l’esprit de ses publics. Ce positionnement devra être crédible car appuyé sur la réalité du territoire, différenciateur vis-à-vis de la concurrence, intégrer une promesse sous-jacente et pouvoir être cultivé dans le temps et avec le temps (pérennité).
Par exemple, la marque Bretagne, appuyé sur ses valeurs (engagement, ouverture, imagination et sens du collectif) se positionne, tant sur le plan touristique qu’économique ou résidentiel, comme « le pays qui crée du lien, transforme et donne la force ».
Développer formellement la marque et ses signes d’expression
La marque peut alors être formalisée : elle est constituée d’une dénomination, d’un logotype, d’une éventuelle signature, d’éléments graphiques assortis d’un vocabulaire symbolique (emblèmes), chromatique (gamme couleurs) , sémantique (mots totem, expressions…), iconographique (sujets et style des photos, vidéos, infographies…) … autant de repères qui de par leur visibilité, les valeurs, la personnalité et les qualités qu’ils incarnent, concourent à l’affirmation de la marque sur ses marchés.
L’ensemble de ces éléments est souvent dénommé « code de marque ». Il est mis à disposition des acteurs, fondateurs ou partenaires, appelés à utiliser la marque
Découvrez par exemple la démarche de l’Alsace (portrait identitaire, diagnostic d’attractivité, plateforme de marque, code de marque et exemples d’applications) sur marque-alsace.fr
Et ensuite ?
Reportez-vous au prochain article de notre série intitulé « Communiquer sur l’attractivité d’un territoire » qui présentera différentes stratégies de communication envisageables, dans leur dimension opérationnelle (plan d’actions).
En conclusion, le recours à la création d’une marque d’attractivité peut s’avérer être, dans certaines situations, un choix stratégique… et, en ce cas, la création de cette marque ne peut se résumer à un logo et un slogan, aussi réussis soient-ils : elle nécessite une approche méthodologique exigeant rigueur stratégique et créativité, ainsi qu’un fort engagement , inscrit dans la durée, de la collectivité et de ses partenaires, en termes de gouvernance et de mobilisation de ressources.
Des exemples de marques
I amsterdam, Be Berlin, Copenhague, Madrid about you…
Esprit de Picardie, Imaginalsace, OnlyLyon, Auvergne Nouveau Monde, Paris Region (pour l’Ile de France), Invest in Reims, Je veux Metz, Originale Franche-Comté , Saône et Loire Créative Labourgogne, Je vois la vie en Vosges, My Rodez, Nantes Just Imagine, Nord Pas de Calais la Créativallée, Saint-Etienne atelier visionnaire, Strasbourg the europtimist…
Les erreurs à éviter
Vouloir créer une marque à tout prix. Beaucoup de marques créées ces dernières années ne survivront pas. Ou bien parce qu’elles portent sur un territoire qui ne fait pas sens dans l’esprit des publics (ce qui est souvent le cas des marques « collées » à un territoire n’ayant d’autre existence qu’administrative), ou bien parce qu’elles ont été créées en hâte pour des raisons simplement politiques, ou bien parce qu’elles ne sont pas appropriées par les habitants et acteurs locaux, qui n’ont pas été associés à la démarche… ou encore parce qu’elles n’auront pas les moyens nécessaires pour émerger du brouhaha médiatique…
Conseil
Co-construire tout au long de la démarche. En enrichissant le diagnostic par l’écoute des parties prenantes, en impliquant les acteurs-clés (appelés à relayer la démarche) dans l’élaboration de la marque, en favorisant l’appropriation de la marque par les habitants (ses meilleurs ambassadeurs), en exploitant la dynamique de création de la marque comme opportunité pour fédérer l’ensemble des forces vives du territoire, en pensant sa gouvernance de façon participative… car il est essentiel que la marque soit considérée comme un « bien collectif ».
Pour aller plus loin
Bibliographie
Gayet Joël, Place Marketing Trend 2014, éditions du Panthéon
Gollain Vincent, Réussir sa démarche de marketing territorial, éditions Territorial
Heilbrunn Benoit, La marque, collection Que sais-je ? éditions PUF
Kottler Philip et Gertner David, Country as brand, product and beyond : a place marketing and brand management perspective, Brand Management
Corbillé Sophie, Les marques territoriales, http://communication.revues.org/5014
Blogs
marketing-territorial.org (Vincent Gollain)
brandingthecity.com (Boris Maynadier)
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