La recette Attali pour les territoires
par Grégoire Petit
Les quelques 316 ingrédients du rapport de la commission pour la Libération de la Croissance composent la potion magique chargée de rendre à la France les bénéfices d’une croissance mondiale dont elle semble s’être détachée. Décortiquons ensemble les “décisions” de la recette Attali concernant le monde local et ses enjeux. Morceaux choisis d’un rapport fortement calorique. Les rédacteurs du rapport prévoient sa présentation au Président de la République, ainsi qu’une série de réunions en régions (notamment dans les plus grandes villes françaises), et la création de forums et de blogs thématiques pour impliquer la société civile et soutenir le projet des réformes. Le site Internet de la Commission met à disposition, un peu à la manière Royale, des forums participatifs où tout un chacun a pu déposer ses idées de réformes pour “libérer la croissance”.
Maintenant que le rapport est rendu, où sont les blogs thématiques et les forums participatifs ? Une recette ‘je dis ce que je fais, je ne fais pas ce que je dis’ Une réorganisation territoriale aux petits oignons Plusieurs décisions sont à ce stade intéressantes à soulever car elles changeraient considérablement la face de l’organisation territoriale actuelle. La Commission entend tout d’abord favoriser les intercommunalités et les régions comme échelles territoriales pertinentes dans un contexte européen et mondialisé (décision 259). Les actuels Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) acquerraient un statut constitutionnel sous l’appellation d’”agglomération”. Il est vrai que ces deux institutions (région et EPCI) existent déjà, mais l’ensemble serait d’une part simplifié par la disparition du département (décision 260) et d’autre part renforcé par l’élection de représentants, dont ceux des “agglomérations”, au suffrage universel direct. Une diminution de la Dotation Globale de Fonctionnement serait infligée aux communes trop réfractaires à cette “supracommunalité”. Enfin, le rapport préconise, dans un but d’amélioration de l’efficacité administrative, de « désigner un chef de file par domaine de compétence afin de clarifier leur répartition » (décision 261). Cette dernière recommandation n’engage rien de nouveau, si tant est que cette disposition, déjà présente depuis 1995 dans la législation actuelle, soit réellement appliquée. Un processus de décentralisation à point La décision 251 a pour objectif de rendre concrets l’effet des transferts entre l’Etat et les collectivités et entre les communes et leurs intercommunalités (90% des communes étant actuellement liées à une intercommunalité). Ces transferts seraient assurés par l’abandon réel des activités, des personnels et des recettes rattachés à la compétence transférée. L’introduction du Chapitre 3 “clarifier la décentralisation pour en accroître l’efficacité” rappelle que les pères de la décentralisation visaient de renforcer la démocratie de proximité, de diminuer les dépenses publiques et d’améliorer le fonctionnement administratif par une mutualisation des coûts. Ce processus institutionnel, sur le long terme, a eu pour revers de diminuer la visibilité et la compréhension des acteurs du monde local, de paralyser leurs actions par l’enchevêtrement de leurs compétences, voire d’augmenter purement et simplement les dépenses publiques. Troisième acte de la décentralisation ? A l’instar du rapport rendu au Sénat en 2006 qui préconisait une application à la lettre des lois Chevènement (1999), Voynet (1999) et Gayssot (2000), le rapport Attali analyse l’état actuel de la décentralisation comme un “troisième acte”, après ceux de 1982 et 2003, au cours duquel les mesures adoptées doivent enfin être appliquées, finalisées et garantir tous les effets escomptés. Cette troisième étape qu’évoque le rapport, si elle se résume à appliquer plus et mieux les législations actuelles, ne présentent aucune innovation. Le processus est en réalité terminé : les transferts sont juridiquement actés et irréversibles. Le prochain défi consistera donc à les (faire) appliquer sur l’ensemble des territoires et à en tirer les fruits, notamment financiers.
Des réformes financières salées Le rapport recommande de privilégier l’autonomie budgétaire plutôt que l’autonomie fiscale (trouver d’autres sources de financement que simplement la recette fiscale, décision 263) afin de diminuer la pression fiscale que supportent les contribuables. L’Etat devrait mettre en place des objectifs de croissance des dépenses (décision 264), des indicateurs de performance (décision 265) et des grilles standards coûts/moyens afin d’éviter les gaspillages (décision 266). Ces outils d’évaluation sont déjà l’objet d’études dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, par laquelle une évaluation systématique des politiques est progressivement mise en place. Là encore, rien de nouveau. Deux décisions semblent amener un réel changement. Le cadrage pluriannuel des finances publiques, notamment des lois de finances (décision 224 et 225), représente un réel changement qui aurait un impact sur l’allocation des subventions accordées par l’Etat aux collectivités. Ces dernières auraient également à effectuer ce passage d’une année à trois années pour “boucler leur budget”, permettant ainsi une gestion de projet de plus long terme. Une bombe se cache derrière la décision 308.
Les ressources des collectivités menacées.
Celle-ci propose une révision de la Constitution (article 72-2) qui aboutirait à la suppression des ratios d’autonomie financière, afin de mettre en place une spécialisation fiscale par catégorie de collectivités. A titre d’exemple, le département, avant sa disparition progressive, ne percevrait comme ressource fiscale que les droits de mutation et les droits de succession, les communes ne percevant quant à elles plus que la taxe professionnelle et la taxe foncière, etc. La spécialisation fiscale présente l’immense danger de rendre extrêmement dépendant une collectivité de son (ses) activité(s) de services publics principales. Si celle-ci tend à diminuer, les ressources de la collectivités diminueraient d’autant. Au total, des propositions de réformes oscillant entre l’appel à la mise en place de mesures qui, bien que mal appliquées, existent déjà (chef de file, transferts effectifs des compétences), et des décisions réellement révolutionnaires (disparition du département au profit de la région, déclin des communes au profit des intercommunalités, spécialisation fiscale, pluriannualisation des finances) qui ne verront probablement jamais la lumière du jour. Quelle collectivité prendrait en charge les compétences exercées par le département si celui-ci disparaissait ? Quelle collectivité remplacerait le rôle de proximité et d’identification au local que joue la commune dans l’imaginaire collectif ? Découvrez dès aujourd’hui 4 PDF du rapport Attali !
[post-views]