La langue de bois décryptée par un lexicographe amoureux qui n’a pas sa langue dans la poche
par Tiffany Assouline On lui avait pourtant bien précisé : « contente-toi de parler d’étymologie et grammaire ; tes opinions, on s’en branle ! », se prend-il à rappeler dans un chapitre consacré à la vocation. Mais étant donné que ce qui l’ « afflige le plus (…) c’est l’ineptie lexicale », et que l’ « on ne sait plus se servir des mots », il était temps de tirer les choses au clair ; car « le souci d’employer les mots de la banalité et des expressions communes peut (…) conduire à des bizarreries. En fait, ce ne sont pas les valeurs logiques ou illogiques de sens qui importent, mais ce que les mots suggèrent ». Cette « lexi-comédie » est un danger pour la liberté : il faut donc envisager « une résistance par la parole », dont l’arme principale serait l’ironie, face à la com’ qui « par nature, sert le pouvoir et l’argent ». Il était temps que ce lexi-com’ arrive, car : « la création de mots nouveaux semble être devenue récemment un sport politique ». Mais au-delà des mots, de leur histoire, de leur sens, Alain Rey va plus loin et regarde par le petit bout de la lorgnette notre monde au travers de la dernière campagne présidentielle. En faisant de constants allers-retours entre les mots employés et le contexte politique, il décrypte de façon profonde les événements et cela ne peut que nous frapper, même nous, spécialistes de la communication… Pourtant, j’avais été plus que sensibilisée lors de mes études par mon ancienne directrice, Simone Bonnafous, linguiste spécialisée dans l’analyse du discours politique et médiatique, qui avait attiré notre attention sur l’utilisation notamment des mots « génocide » ou « charnier » dans la presse, au point que les mots perdent de leur force et de leur sens… Sarkozy Bercy Intégral 29 Avril 2007 envoyé par Carobio2007 Au long cours des chapitres, le fantôme du Big Brother de Georges Orwell resurgit lorsqu’il s’agit d’analyser les errances et erreurs d’une langue qui cherche à nommer l’innommable et à associer ce qui ne peut l’être que par la baguette magique de la com’ (Identité nationale p. 174, Ministerribles p. 176, Lustration p. 225, Intitulés p. 281). Les glissements sémantiques et surtout pratiques ont fait de la démocratie « le pire des régimes, à l’exception de tous les autres », selon Churchill. Pour éviter le pire, il faudrait que le demos (peuple) en définisse la qualité par une éducation adéquate… or : « un peuple affalé devant l’écran de la télé démocrétine, rivé à son écran d’ordinateur, cloué au volant de sa bagnole immobilisée dans un bouchon, un peuple d’automobilistes bouchés, un peuple d’ados regardant leurs acnés morales sur la Star Académy, peut-il être critique ? ». La dérive est telle que : « loin de former Monsieur et Madame Peuple, on les manipule, on les distrait de l’essentiel (entertainment en globish), on les intéresse en les rendant intéressés ». Ainsi, citant Régis Debray : « les people remplacent le peuple » et l’éducation du peuple devient par un nouveau tour de passe-passe démagogie… Ce genre de retournements montrent l’aptitude des mots à se trahir, en quoi les humains les imitent La sortie du livre de Delanoë ayant remis sur la table le difficile exercice de la définition du libéralisme, Alain Rey expliquait déjà que : « c’est le règne de l’ambiguïté. Les mots simples perdent leur sens premier, devenu inexploitable ». Ainsi, partant de la notion d’ « ouverture » ayant dirigé la formation du gouvernement actuel, il en arrive au fait que cela peut ressembler à ce que l’on nomme dans une porte un « Judas »… de là à aborder la notion de transfuge et de trahison, il n’y a qu’un pas qu’il franchira dans plusieurs chapitres (Elargir, rassembler p. 259, « Transfuges » et « Sarko-compatibles » p. 270). Pour les fans du web 2.0, il faut attirer l’attention sur deux chapitres à la pointe : Blogosphère (p. 202), dans lequel on trouve un petit historique très intéressant sur l’origine et l’évolution/traduction du mot « blog » et Sarko-buzz (p. 290) qui permet au vulgum pecus de rigoler. Etant donné la situation explosive actuelle, il est intéressant d’en remonter le fil grâce à la lecture de ce livre riche d’enseignements qui annonçait le 18 mai 2007 : « à son corps défendant, ce discours d’entrée en fonction présidentielle en marque les difficultés et les limites (…) ce qui promet au moins une distrayante agitation » et concluait déjà le 23 juin 2007 : « le slogan trop facile du Président, “travailler plus pour gagner plus”, est facile à retourner : “travailler plus ou moins”, “travailler pour gagner moins”, etc. Beaucoup mieux : “travailler plus pour payer plus” (François Hollande). En résumé, la “France qui souffre” tourne le dos à l’enthousiasme verbal de la néo-hyper-présidence. Mais elle lui offre, sur un plateau un peu moins grand, histoire de l’ennuyer, mais pas trop, les moyens de gouverner à sa guise. Ah, que les Français ont de talent et de sagesse ! ». Voir également FranceTerme, site lancé le 10 mars dernier par la Ministre de la culture, Christine Albanel. Il met en ligne les termes nouveaux officiellement intégrés à la langue française, et ceux qu’il faut éviter… Voir enfin le blog de Jean Véronis, informaticien et linguiste, qui a décrypté les mots (maux) des précédentes élections.
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qu’est-ce que le sens ? qu’est-ce qui fait sens ? A quoi sert la culture ? Je crois qu’il est grand temps de rappeler combien il faut lire et relire Hannah Arendt (La crise de la culture), qu’on redécouvre Socrate, qu’on explique de nouveau ce que permet la laïcité (former des citoyens responsables, i.e capable de réfléchir par eux-mêmes et de prendre des décisions pour faire avancer la société dans laquelle ils s’inscriven)… A force de se laisser lobotomiser par le divertissement, le people et les faits divers version JT de 13h sur TF1, on finit par oublier ce que signifie humanisme !
Tout à fait Jef… ça fait rêver “des citoyens responsables capables de réfléchir par eux-mêmes et de prendre des décisions pour faire avancer la société dans laquelle ils s’inscrivent’… J’ai beaucoup le double sens du mot sens, qui veut dire aussi direction… dans quel sens veut-on aller ?